Le Rêve de Puvis de Chavannes

Reconnu pour ses peintures murales Puvis de Chavannes peignait aussi des tableaux de chevalet même s’il considérait cette pratique comme secondaire. On lui colle très souvent l’étiquette de symboliste mais Puvis se défendait lui-même de n’appartenir à aucun groupe, aucune école comme l’illustre le tableau Le Rêve. Je vous partage ici un petit commentaire d’oeuvre sur ce tableau peint en 1883. Ce tableau a été exposé au Salon de 1883 avec le portrait de Mme Cantacuzène, Puvis faisait alors partie des membres du jury.

 

            Inspirations “classiques”

Tableau classique par les dessins préparatoires

Puvis de Chavannes décide de devenir peintre à son retour d’Italie en 1846. Il retourne en Italie en 1847 pour copier et étudier les maîtres. Il n’a pas une formation académique à proprement parler car il ne va pas à la fameuse école des beaux-art. Il fréquentera alors pendant des périodes plus ou moins longues les ateliers d’Henry et d’Ary Scheffer, de Delacroix, de Thomas Couture. Il n’aura pas une formation aussi rigoureuse qu’aux beaux-arts. Mais c’est peut-être pour cette raison et grâce à ces diverses inspirations qu’il arrivera à créer son style personnel.

Tout comme les peintres académiques Puvis réalise de nombreux dessins préparatoires ce qui reflète une composition rigoureuse et réfléchie. Comme on peut le voir ici le peintre a hésité entre le format horizontal et vertical. Il hésite aussi pour le nombre de personnages et surtout sur la figure des allégories. Celles-ci sont tantôt sur terre, alignées ou volantes. La difficulté a été de peindre 3 figures volantes dans un tableau qui ne contient que 4 personnages tout en préservant l’équilibre de la composition.

dessin2
dessins préparatoires pour Le Rêve
Le_Reve-Puvis_de_Chavannes-Orsay
Puvis de Chavannes, Le Rêve, 1883, huile sur toile, 102 x 82 cm, Musée d’Orsay

Tableau classique par son sujet

Par son sujet allégorique Le Rêve est un tableau “classique”. Les muses sont diaphanes drapées à l’antique telles des statues grecques. Ces figures sont des personnifications ce qui est propre à l’allégorie, ce tableau ne présente aucun symbole caché. Le livret du Salon de 1883 était accompagné d’une inscription : Il voit dans son sommeil, l’Amour, la Gloire et la Richesse lui apparaître. On voit bien un jeune homme endormi au pied d’un arbre sous un clair de lune. Les baluchons à ses côtés font penser que c’est un voyageur. Trois femmes volant dans les airs lui apparaissent en rêve. Il s’agit de l’Amour qui tient des roses à la main, de la Gloire tenant une couronne de laurier et de la Fortune répandant des pièces.

puvis2
Le Rêve, détails

Le thème antique est un thème qui plaît au public. Le classicisme était tellement acceptable qu’il permettait une certaine liberté pour des artistes qui expérimentaient davantage comme Puvis dans les années 1870 et 1880. Comme l’a fait remarquer Camille Mauclair, cela fait penser au Jugement de Pâris où Pâris doit désigner qui d’Héra, d’Aphrodite et d’Athéna est la plus belle. Louis Enault écrit quant à lui « Un homme endormi dans un paysage élyséen voit passer devant ses yeux clos trois femmes emportées à travers l’espace, et qui symbolisent pour lui les trois désirs de la jeunesse, les trois regrets de l’âge mûr : l’amour, la gloire et la richesse. » Il s’agirait alors d’un jeune voyageur rêvant de succès.

 

Un thème fréquent dans l’oeuvre du peintre et chez les artistes

Le thème du Rêve ne se retrouve pas dans l’œuvre du peintre mais des thèmes très proches sont présents. Puvis peint Le Repos en 1863. Il peint également Le Sommeil en 1867. Un extrait des Eneides de Virgile accompagnait le tableau, cela fait donc référence au premier sommeil des troyens avant que leurs ennemis grecs arrivent (encore une référence à l’antiquité). Le peintre peint Orphée en 1883 la même année que Le Rêve. La figure d’Orphée rappelle le jeune homme endormi dans Le Rêve mais la figure tourmentée d’Orphée devient une figure paisible dans Le Rêve. Le Thème du rêve et du sommeil sont des motifs fréquents chez les peintres du milieu du XIXème siècle, Puvis de Chavannes s’inscrit ainsi dans une tradition et reprend avec son propre style ce sujet. On observe ce thème chez Les Moissonneurs et Les Troyennes de Chassériau (qui fait aussi référence à Virgile) ou Christ au jardin des oliviers de Chassériau. Théodore Chassériau était un proche de Puvis de Chavannes et ce dernier admirait beaucoup son travail. D’ailleurs l’esquisse Le Sommeil des apôtres de Chassériau (esquisse pour Christ au jardin des oliviers) a d’abord appartenu à Marie Cantacuzène puis à Puvis de Chavannes.

 

La composition du Rêve et la figure du jeune homme endormi ressemblent à la représentation traditionnelle du rêve, comme Le Rêve de Jacob ou Le Songe du Jeune Chevalier tous deux de Raphaël. Puvis admire aussi le travail d’Eustache Le Sueur. Dans Le songe de saint Bruno on retrouve cette composition de l’homme endormi et des trois figures volantes. Ce tableau est acquis en 1843 par le Louvre ce qui fait que Puvis de Chavannes l’a sans doute vu. De plus, un de ses maîtres Thomas Couture encourageait ses élèves à aller au Louvre et à copier les maîtres, ce que faisait sans doute le jeune Puvis.

Le_Sueur,_Eustache_-_Songe_de_saint_Bruno_-_1645-1648
Eustache le Sueur, Le songe de saint Bruno, 1645-1648

          Un peintre qui affirme son style personnel

Un peintre symboliste ?

Puvis est souvent mentionné comme étant «  le précurseur du symbolisme ». Mais Puvis s’efforce simplement de restituer le plein sens des éléments et les signes de la nature, tels qu’ils s’offrent à tous.

« J’ai bien voulu être de plus en plus sobre, de plus en plus simple et dans tout cela, dites-le bien, pas de recherches de symbole ».

Puvis de Chavannes

A la différence des peintures symbolistes, il n’est pas nécessaire d’avoir une initiation religieuse ou philosophique pour donner un sens aux images. Il retire du devant de la scène, l’événement historique, le contexte géographique et culturel.

Comme beaucoup d’artistes Puvis souhaite la reconnaissance officielle. Il expose au Salon de 1850 mais il y est refusé les années suivantes. Il parvient seulement à s’imposer au Salon de 1861 avec la Paix et la Guerre. Les débuts ont été difficiles mais il en verra bien d’autres car tout au long de sa carrière il connaîtra la critique. Puvis se trouve dans un siècle fasciné par la description et l’analyse de réalités sociologiques, historiques ou morales. Ses oeuvres ne contiennent pas de références à la contemporanéité de son temps, Jules Antoine Castagnary (directeur de l’Académie des Beaux Arts entre 1887-1888), considérait que c’était pourtant le gage minimal de modernité. Finalement même si les symbolistes prolongent les tableaux puvisiens, ils les chargent d’un sens moral ou philosophique qui était totalement absent de l’oeuvre de leur modèle.

 

Transposition du style “décoratif” à la peinture de chevalet

Puvis est un peintre au style personnel et reconnaissable. Chez Puvis, le style de la maturité découle en grande partie de son esthétique « décorative ». Puvis appliquera cette esthétique à sa peinture de chevalet à une époque où l’on considérait celle-ci comme un genre totalement distinct de la peinture murale.  

« la peinture de chevalet et la peinture de chevalet sont deux genre totalement distincts, ayant des lois à part, une technique différente, et l’artiste, qui est passé maître dans celle-ci, peut ignorer complètement les règles de celles-là » 

Victor Champier

Le paysage ici est évoqué avec une grande économie de moyens, les formes composant le paysage sont simplifiées et deviennent de grandes zones colorées en aplat. L’artiste utilise une palette réduite, on observe une harmonie et une unité chromatique bleutée et brune que le croissant de lune et les corps blancs des trois déesses viennent éclairer. Ce lieu qui ne présente qu’un étagement d’aplat coloré semble indéfinissable.

puvis3
Le Rêve, détails

 « La matité et la localité des tons, le modèle laconique qui sont des beautés au Panthéon, déplaisent ou plutôt dépaysent avec la peinture de chevalet ».

Péladan

Reconnaissance et critiques

En 1881, Puvis expose au Musée des Arts Décoratifs, dont le compte rendu est élogieux dans les revues d’arts et les journaux où il présentera ses plus importantes peintures de chevalet réalisé après 1879 (Le Pauvre Pêcheur, La femme à sa toilette). Puis en 1884 il exposera au Musée des Beaux-Arts un important choix de dessins couvrant 25 ans de son oeuvre. Le Rêve n’est pas mentionné, cette oeuvre passe pour une oeuvre plus secondaire.

Peint dans la période d’apogée de la carrière de l’artiste Le Rêve est jugé sévèrement, comme trop simplifié, trop rudimentaire. Mais c’est Edmond About qui sera le plus critique : « Depuis plus de vingt ans il se promet et nous promet un chef d’oeuvre qu’il n’exécutera jamais car il ne sait ni peindre ni dessiner ». Le tableau est qualifié d’« art enfantin », de « fantoche lugubre entouré de 3 poupées grotesques ». Le Rêve sera aussi caricaturé dans Le Rire par Dunker, le 21 septembre 1901.

Capture
Le Rire, Dunker, 21 septembre 1901

Mais l’artiste trouve aussi des soutiens importants comme Théophile Gautier ou Théodore Duret (un temps possesseur du tableau), qui en dira : « [ce n’est] pas l’oeuvre la plus imaginée, on admettra qu’elle sera pour lui ce qu’a été l’angelus pour Millet, la conception qui exprime la quintessence de ses facultés ». Bien que critiquée, cette oeuvre est confiée au collectionneur d’art Théodore Duret, qui possédait plusieurs oeuvres de Puvis, puis il sera revendu en 1894 pour 9100 francs (un prix assez considérable) avant d’être revendu finalement à Etienne Moreau-Nélaton, un autre collectionneur d’avant-garde. Il rejoindra ensuite les collections du Musée d’Orsay en 1906.

Le style personnel et affirmé du peintre inspirera de nombreux peintres. Les post -impressionnistes se sont largement réclamés de Puvis pour y reconnaître l’un de leurs « prophètes ». Il est admiré par Gauguin, Van Gogh et plus généralement les peintres nabis qui se reconnaissent dans son esthétique (on pense à Maurice Denis). On retrouvera aussi son influence chez Matisse, Picasso, Seurat…

 

Conclusion

Puvis de Chavannes est un peintre qui a eu une formation « classique » qui se manifeste par le travail de la composition passant par le dessin. Le classicisme se retrouve dans le choix du thème du tableau d’inspiration antique et par le genre allégorique de la peinture. Toutefois c’est un peintre que l’on ne peut pas qualifier de symboliste ; Puvis de Chavannes ayant une démarche artistique et une technique qui lui sont propres, celles-ci lui ont valu beaucoup de critiques.
Puvis transpose sa méthode de peinture de décoration murale sur le tableaux de chevalet ce qui en fait un peintre hors de toute catégorie qui a su affirmer un style unique et personnel. C’est pour cette raison que Puvis de Chavannes a eu une influence considérable sur des peintres tel que Seurat, Gauguin, Picasso, Maurice Denis et bien d’autres et qu’il est une figure artistique majeure du XIXème siècle.

Si vous avez aimé ce commentaire d’oeuvre n’hésitez pas à aimer ou à partager ! A bientôt.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *